Les bonnes vieilles méthodes du risk management, avec leurs matrices des risques et leurs cartes des points chauds, seraient-elles en fait perçues comme des entraves à la performance ? Hans Læssøe, consultant principal chez AKTUS et ancien risk manager du groupe LEGO, veut réinventer le métier.

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Le risk management existe, sous une forme ou une autre, depuis plus d’un siècle. Cette discipline a mis au point pléthore d’approches pour parvenir à maîtriser les risques au sein des entreprises. 

Aujourd’hui encore, la plupart de ces approches ont un caractère réactif plutôt que proactif et elles sont de nature défensive. On cherche à minimiser les pertes résultant d’événements découlant de décisions déjà actées. Il est rare que les spécialistes du risque soient invités à prendre part aux décisions stratégiques. Ainsi, si les risk managers sont considérés comme des spécialistes utiles, ils ne sont pas perçus comme des acteurs de la performance de l’entreprise.

La faute en revient en partie aux risk managers eux-mêmes. Certains d’entre eux se limitent en effet à des approches « old school » :

  • Les ateliers du risque où l’on demande aux cadres quels sont les risques à surveiller – pas de valeur ajoutée par le risk manager
  • Les matrices et cartographies qui appréhendent les risques par silos – au lieu d’admettre que chaque risque peut avoir des conséquences en cascade
  • Un travail sur le risque qui tient plus de la mise en conformité que de l’approche à valeur ajoutée
  • Une vision qui est trop focalisée sur la notion de coût financier
  • Une approche qui ignore les opportunités
  • Un manque de priorisation du portfolio des risques et de consolidation des expositions

Les décideurs sont du coup amenés à se demander si le risk management est une dépense pertinente – ou s’il serait préférable de dépenser son argent autrement…

Les entreprises et organisations sont confrontées à des incertitudes. La complexité et le rythme de l’évolution s’accroissent sans cesse. Il est donc temps de proposer une approche « à plus forte valeur ajoutée » : c’est ce que certaines entreprises sont en train de faire.

Utiliser le paradigme de l’assurance qualité

Les fonctions de risk management sont souvent issues des services de vérification et d’audit, de mise en conformité ou des services financiers. Elles sont ainsi modelées à l’aune des paradigmes correspondant à ces fonctions d’audit et de finance.

Dans d’anciens articles, je me suis moi-même appuyé sur le paradigme financier pour décrire les process en matière de risque et d’impact. J’ai fini par constater que cette approche n’était pas optimale et je pense maintenant qu’il existe une autre fonction de l’entreprise qui fournit un cadre de référence plus efficace pour le risk management : l’assurance qualité (AQ).

Les équipes d’AQ réfléchissent à « la meilleure façon de garantir que le produit fini sera conforme aux attentes », l’idée étant que « tout est possible, mais que cela exige du travail ». Leur credo est qu’une bonne préparation est une garantie contre l’échec. C’est un principe qui s’applique tout aussi bien aux décisions d’entreprise.

Les risk managers sont considérés comme des spécialistes utiles, mais pas comme des acteurs de la performance.

Ainsi, on peut facilement concevoir que les fonctions du risque se muent en « assurance réussite » et que leur mot d’ordre devienne : « Qu’allons-nous faire pour que cette stratégie (ou décision, ou projet) soit conforme à nos aspirations et à nos attentes ? »

On le voit, il s’agit ici d’une approche positive – sauf dans le cas où l’analyse prouve que la stratégie, les ressources allouées ou les actions choisies ont peu de chance de conduire aux résultats escomptés.

Les équipes AQ définissent systématiquement des processus et des outils pour contrer les incertitudes sur la qualité des matières premières ou sur les conditions de fabrication (température, hygrométrie) ; elles peuvent ainsi garantir la qualité du produit. De la même façon, nos équipes d’AR (assurance réussite) pourraient définir des process et des outils qui prendraient en compte les incertitudes et assureraient la conformité des projets à leurs objectifs.

Les fonctions d’AQ s’appuient également sur les enseignements que l’on peut tirer d’une analyse historique des situations comparables : les décisions et conceptions des services AQ sont ainsi basées sur des faits établis. Là encore, les nouveaux services d’AR peuvent s’appuyer sur l’analyse des décisions prises dans des situations ou des secteurs similaires (ou toute autre source d’information pertinente) pour s’assurer que les stratégies choisies sont fiables – contrairement à ce qui se passe trop souvent, avec des décisions prises « à l’intuition ».

Les services d’AQ les plus pointus sont impliqués depuis bien longtemps dans toutes les étapes de la fabrication du produit, de sa conception à sa production voire jusqu’au service après-vente. Ils s’assurent que les process et les produits respectent les critères de qualités choisis. Il faut noter ceci :

  • L’AQ n’est pas chargée de la conception. Elle soutient (et vérifie) le travail des concepteurs pour le guider dans une démarche de « conception orientée qualité ». Le premier jet est souvent bien pensé, mais on est parfois contraint de retoucher la conception initiale pour garantir le respect des normes de production.
  • L’AQ ne crée pas les outils de fabrication, mais elle soutient et vérifie l’adéquation de leurs caractéristiques avec les objectifs de production.
  • L’AQ effectue un suivi systématique de la qualité des produits et tire parti de sa courbe d’expérience pour affiner en continu ses méthodes et ses outils. Elle applique des méthodes telles que l’analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité (AMDEC), les diagrammes « en arêtes de poisson » et les méthodes statistiques. De la même façon, l’équipe AR peut participer à toutes les étapes de la stratégie, de sa conception à la mise en œuvre en passant par l’affectation des ressources, l’exécution ou le contrôle des résultats obtenus.
  • Les équipes d’AR n’ont pas à définir la stratégie, mais elles interviennent en tant que soutien. Elles imaginent les scénarios possibles et les appliquent au modèle pour en évaluer la résilience à l’imprévu, dans une optique de la « préparation à la réussite ». Comme Xavier Gilbert et ses coauteurs le montrent dans leur livre Smarter Execution, la plupart des entreprises sont dotées de bonnes stratégies, mais elles ne les appliquent pas rigoureusement et n’effectuent pas les petits ajustements voulus en cours de route. Les équipes d’AR n’ont pas à s’occuper de l’affectation des ressources, mais elles soutiennent et critiquent si nécessaire les prises de décisions en s’appuyant sur leur compréhension de la demande ou de la volatilité des coûts, par exemple.
  • Les équipes d’AR devraient assurer un suivi des performances réelles et les comparer aux résultats attendus ainsi qu’à l’analyse historique pour proposer les ajustements souhaitables et parvenir aux objectifs définis en dépit des obstacles qui se présentent. L’AR doit pour cela être prête à faire appel à des outils d’analyse et de suivi tels que les analyses en « nœud papillon », en « arêtes de poisson », aux wargames, au contrôle a posteriori, aux statistiques…

Les services d’AQ disposent d’une maîtrise technique considérable. Les meilleurs services vont jusqu’à suggérer des possibilités d’accroître la valeur perçue par le consommateur en modifiant le produit à peu de frais. De la même façon, les services d’AR doivent s’appuyer sur une excellente compréhension de la stratégie et de la marche de l’entreprise pour proposer, de temps à autre, des idées permettant d’améliorer les performances ou de saisir des opportunités.

Mettre en œuvre un tel changement de paradigme transformerait les risk managers en « spécialistes de l’assurance réussite » : on passerait alors d’une approche négative (le risque) à une approche positive (la réussite).