Il est désormais temps de faire évoluer les métiers du risk management vers ceux de « l’assurance réussite ». Comment s’y prendre ? Voici les conseils d’Hans Læssøe, consultant principal chez AKTUS et ancien risk manager du groupe LEGO

Cette évolution ne peut pas se réduire à un simple changement d’intitulé de poste. Pour devenir un spécialiste de l’assurance réussite (AR), le risk manager va devoir acquérir de nouvelles compétences :

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  • Capacités analytiques et statistiques. La plupart des risk managers disposent déjà de connaissances dans ce domaine et il s’agit de s’en servir encore plus efficacement, souvent en se posant la question « de quelles données et statistiques ai-je besoin pour éclairer les incertitudes ? »
  • Dynamique d’entreprise. De même que les services d’assurance qualité (AQ) maîtrisent parfaitement les machines et les procédés, le spécialiste en AR doit comprendre les interactions entre la stratégie, la dynamique de l’entreprise et ses performances. Là où le spécialiste en AQ sait utiliser ses connaissances des phénomènes externes (les variations de qualité des matières brutes, par exemple) et comprend leur impact sur le produit fini, le spécialiste AR pourra pour sa part analyser les facteurs externes (un changement de l’environnement concurrentiel, par exemple) et déduire leur impact sur la performance de la société.
  • Connaissance des systèmes. Le responsable AQ s’intéresse à la qualité de produits, aux processus, aux incertitudes sur les matières et aux vulnérabilités à certains paramètres. Pour l’AR, la tâche consiste à suivre les performances de l’entreprise et à comprendre quelles fonctions de l’entreprise sont hautement productives (et par conséquent plutôt rigides) et lesquelles doivent être plus fluides (et d’abord viser à l’efficacité).
  • Processus de décision. Le responsable AQ connaît bien les process de fabrication ; en AR, il s’agit de comprendre les processus de décision au sein de l’entreprise et d’évaluer le poids des préjugés, des « intrigues de bureau », etc.
  • Aptitude à la collaborer. Si la fonction de risk manager est souvent bien délimitée dans un domaine de compétence pointu (comprendre : le risk manager travaille seul, en silo), le spécialiste de l’AR est pour sa part en contact avec les décideurs et il travaille à l’élaboration de la stratégie. Il y a de nouveau un parallèle avec la fonction d’assurance qualité, qui soutient la conception du produit, sa fabrication, et va jusqu’à assister les distributeurs pour garantir la qualité finale du produit de la façon la plus efficace possible.

Certes, ce genre de poste semble bien éloigné des missions classiques du risk manager et le profil exigé va beaucoup varier d’une entreprise à l’autre. Mais dans certaines sociétés, pouvoir faire évoluer son poste vers l’assurance réussite représente une belle opportunité pour un risk manager chevronné.

La mise en œuvre de l’assurance réussite va également changer la donne au sein de l’entreprise :

  • Les responsables doivent réellement adhérer à l’AR et adopter de nouvelles façons de gérer. Comme souvent, il faut mener par l’exemple. Un de mes anciens chefs de service disait : « Pourquoi ne pas faire aujourd’hui ce qu’une autre équipe pourrait faire demain ? » Cela enhardit l’équipe de direction qui peut alors se montrer plus audacieuse.
  • Les processus de décision clés doivent être analysés et adaptés. En premier lieu, les objectifs doivent être définis par « plages de bonne performance » plutôt que par des valeurs fixes – dont on ne fait jamais que s’approcher, de toute façon. Les décisions prises doivent comporter des précisions quant aux actions à prendre pour traiter certaines situations (risques et opportunités) ainsi que les méthodes de suivi permettant de savoir quand il devient nécessaire d’agir autrement.
  • Les cartes des points chauds doivent être remplacées par des analyses de sensibilité basées sur des simulations afin de mettre en évidence les vulnérabilités et les sujets à traiter. Les plans d’action et la stratégie à long terme, les entrées en territoire inconnu (nouveau secteur ou marché) doivent s’appuyer sur des analyses de scénario permettant de mettre en évidence les points saillants et de définir des mises en œuvre agiles, capables de s’adapter aux évolutions des facteurs externes.
  • Les rapports sur les risques peuvent être remplacés par des « indicateurs de réussite » : en faisant appel aux données connues et à la compréhension du secteur, on effectue un suivi des chances qu’une stratégie, un projet ou une décision a d’atteindre ses objectifs. Toutes les entreprises devront définir leurs propres indicateurs et cela prendra du temps. Mais quand l’urgence presse, autant démarrer le plus rapidement possible.

Comment effectuer la transition ?

Mettre en place l’assurance réussite représente un effort à long terme, qui passe souvent par un changement de la culture d’entreprise. Inutile donc de vouloir aller trop vite en besogne. Il est préférable de procéder par étapes, chaque étape offrant sa propre valeur ajoutée. Deux approches peuvent être utilisées, en parallèle.

L’approche par process, où l’on s’intéresse aux process de décision existants : affectation des ressources, investissement, gestion du portefeuille client, etc.

Le promoteur de l’AR en interne doit étudier ces process et les éléments sur lesquels les prises de décision se basent. L’analyse peut s’articuler autour de la question « comment faire pour que nos décisions réussissent ?», de l’identification des incertitudes susceptibles d’affecter les performances et des moyens potentiels d’améliorer les résultats. Il y a peu, j’ai appris que plus de la moitié des projets d’un secteur donné dépassaient leurs objectifs de 10 % ou plus (en temps ou en délai). C’est un champ d’application évident pour cette méthode. Chaque avancée dans un process permet d’ouvrir sur le suivant.

Peter Drucker a écrit que « la culture d’entreprise bat toujours la stratégie à plates coutures ». De la même façon, la culture d’entreprise est plus forte que la conformité aux règles

L’approche par leadership. Cette approche traite les décisions prises par chaque responsable (directeur technique, achats, R&D, etc.). Pour amorcer le cercle vertueux, mieux vaut se rapprocher d’un chef de service dont les décisions ont beaucoup de poids – mais qui se montrera prêt à repenser ses processus de décision.

Le spécialiste de l’AR se rapproche de ce décideur et lui apporte son soutien en fournissant toutes les analyses voulues pour que ce dernier puisse prendre de meilleures décisions, basées sur des informations solides. On peut alors intégrer les mécanismes permettant d’accroître le taux de réussite des projets dans le processus de décision. La réussite aidant, ce décideur adoptera l’approche et cherchera à la promouvoir auprès de ses collègues.

Les deux approches ci-dessus peuvent être imposées comme étant des critères de conformité. Cependant, je crois bien davantage à une appropriation par les décideurs qui adhèrent à la méthode. Aucun responsable n’adopte et ne respecte facilement une règle à laquelle elle ou il ne croit pas.

Peter Drucker a écrit que « la culture d’entreprise bat toujours la stratégie à plates coutures ». De la même façon, on peut dire que la culture d’entreprise est plus forte que la conformité aux règles. Sans adhésion, pas d’évolution possible.

Pour conclure

Faire évoluer la description du poste, l’approche et la perception « négative » du risk management pour adopter celle « positive » de l’assurance réussite n’est pas simple. Cependant, vu les enjeux et les avantages potentiels, cela en vaut la peine. Les entreprises sont confrontées à la concurrence des acteurs habituels du marché, mais aussi des disrupteurs, ces nouveaux entrants qui s’invitent dans votre secteur et mettent en œuvre de nouvelles technologies qui changent radicalement la donne.

Ainsi, ceux qui passeront les premiers de la « gestion des risques » à la « prise de risque intelligente orientée vers l’assurance réussite » se doteront d’un avantage concurrentiel sur les autres.

Le monde des affaires change et il est impossible de se raccrocher aux bonnes vieilles recettes qui ont marché jusqu’à présent : sauf changement, le changement ira à un rythme toujours plus effréné. Le risk management va évoluer vers une prise de risque raisonnée, qui s’appuiera sur des process et des outils décisionnels efficaces.